Reporting : le blues des data analysts
Mikael Dautrey
Selon un article paru récemment dans Computer Weekly , au Royaume-Uni, un sondage auprès d'une population d'environ mille data analysts montrait que plus de la moitié d'entre eux envisageaient de changer de travail en 2020.
Parmi les difficultés évoquées figuraient notamment :
- un manque de support de leur management pour 29% d’entre eux
- la culture bureaucratique de leur employeur pour 44%
- le manque d’outils adaptés pour pour 28%
Les données en entreprise, une nouveauté pas si nouvelle
L’analyse des données au sein de l’entreprise n’est pas une nouveauté. On pourrait citer:
- le reporting omniprésent, notamment dans le domaine commercial, la gestion de projets ou la gestion d’une BU
- l’analyse des coûts menés par le contrôle de gestion et la direction financière au sens large
- le business plan et les prévisions, budgétaires ou marché,
- le marketing et l’analyse des capagnes
- la gestion des stocks, et des achats
- la paie
- …
Le reporting existe depuis que l’informatique est rentrée dans l’organisation, soit une trentaine d’année. Excel est un peu le symbole de cette évolution. Il n’est pas seul. Business Object, SAS, pour n’en citer que quelques uns, sont présents depuis longtemps dans l’entreprise.
Les cadres, dans tous les domaines, sont familiers d’un certain nombre de données. Ils maîtrisent même souvent très bien les indicateurs de leur métier, en ont une compréhension certes empirique mais non dénuée de pertinence. Il ne suffit donc pas d’écrire des lignes de python, de savoir lancer une régression linéaire dans SciKit learn, pour battre un responsable d’approvisionnement ou un acheteur sur son terrain!
Les promesses de l’analyse de données, du big data, de l’intelligence artificielle peuvent s’écrouler très vite si les projets sont construits dans une sorte de laboratoire déconnecté du métier. Les résultats seront peut-être intéressants, mais sans suite, soit parce qu’ils répondront à une question qui n’est pas posée et n’est pas pertinente pour le métier, ou au contraire parce qu’ils se heurteront à sa complexité, à sa variabilité ou à son imprédictabilité.
Des améliorations possibles
Parler données n’est donc ni réellement innovant ni forcément vendeur, si nous considérons que les cadres se plaignent souvent de passer trop de temps à produire du reporting et qu’il peut y avoir une tendance, qui confine à la névrose, à tout suivre et à tout compter dans son moindre détail, sans que personne ne comprenne le bénéfice pour l’entreprise.
Même le système de reporting le plus simple se heurte à la difficulté de traduire des chiffres en indicateurs – qui indiquent précisément une compréhension d’un phénomène -, et des indicateurs en leviers d’action. Certaines méthodologies, comme les Balanced Scorecard, cherchent à aligner l’ensemble de l’organisation sur un système de reporting et d’indicateurs, à trouver les leviers, les manettes que tout dirigeant rêve d’avoir pour piloter l’entreprise. Les mettre en oeuvre dans une organisation est une tâche difficile, et les leviers ne produisent pas toujours les effets escomptés.
Ces systèmes de reporting traditionnels, et les méthodologies comme les Balanced Scorecards, nous indiquent la voie d’une stratégie data réussie :
- Alignement stratégique : la donnée doit être utile à la stratégie de l’entreprise
- Pertinence métier : la donnée de produire des résultats nouveaux et pertinent pour un professionnel du métier : un résultat nouveau, actionnable (sur lequel l’entreprise peut avoir un effet) et garantissant des gains suffisants pour justifier la démarche
- Faisabilité opérationnelle : les résultats doivent pouvoir être produits opérationnellement, de manière fiable, à des coûts compatibles avec les contraintes du métier, et être mis en place dans un délai connu et acceptable.
Ces trois objectifs étant clairement définis, nous pouvons identifier des domaines où des améliorations semblent envisageables :
- Analyser : les cadres produisent du reporting mais n’ont pas assez de temps, d’énergie, ou de « jus de cerveau » disponible, pour prendre du recul et les analyser
- Enrichir : les données non structurées ou dont la structure est complexe, qui sont pourtant sémantiquement riches, sont délaissées au profit des chiffres: images, textes, documents sonores restent stockés quelque part sur un partage réseau ou dans les boîtes mails
- Contextualiser : les données de l’entreprise sont fermées sur elles-même alors qu’elles s’enrichiraient du contexte externe disponible sur Internet, météo, environnement économique et social, informations locales
- Comprendre (et produire de nouveaux indicateurs de cette compréhension) : les outils utilisés pour l’analyse sont rudimentaires alors que de nouveaux outils sont disponibles sur étagère, classification, clustering, régressions sous diverses formes, analyse dimensionnelle, moyens de visualisation…
Les nouvelles technologies issues du big data semblent en mesure d’adresser ces différents sujets, à condition de les inscrire dans une démarche de transformation de l’entreprise.
Une analyse des données intégrée au métier
Pour être réellement efficace, l’analyse de données doit rester intégrée à l’organisation (comme elle l’est aujourd’hui, avec ses feuilles Excel, ses requêtes ODBC, ou ses rapports BO). Recruter une équipe d’analyste de données, en espérant qu’elle produire des résultats positifs par sa simple présence, est un projet voué à l’échec dans la plupart des cas. Si une équipe de data analyste est recrutée, elle doit en effet agir en support du métier et non l’inverse. Il serait même souhaite que, à l’avenir, il n’y est plus de data analysts, et que cette compétence soit intégrée à chaque métier, au même titre que l’usage d’un tableur, d’un outil de présentation, ou des méthodes de calcul.
A court terme, il est plus important de développer le besoin au niveau stratégique et métier que d’apporter une réponse (une équipe de data analysts) à un besoin qui n’existe pas, et donc agir à plusieurs niveaux :
- Identifier des objectifs stratégiques pour lesquels l’analyse des données semble apporter un gain significatif
- Former et développer la culture de l’analyse des données au niveau des managers métiers
- Apporter un support technique, méthodologique et des moyens IT pour répondre aux demandes des métiers
Un exemple de stratégie réussie
- Définir la ligne stratégique : deux objectifs, analyse exhaustive des informations disponibles pour mieux connaître le risque, méthodes statistiques d’estimation de risque plus modernes
- Initier le changement : Créer une rupture dans le comportement des gestionnaires en remplaçant leur outil de reporting / tableur par un logiciel de visualisation de données à la fois plus performant et imposant une méthode d’analyse de données et de reporting plus structurée (data visualization, story telling, …)
- Former les gestionnaires au nouvel outil, en s’appuyant sur des exemples métier concrets pour qu’ils s’approprient la démarche
- Créer une petite cellule de data analyst qui viennent en support des gestionnaires pour les aider à évoluer après leur formation et centraliser les bonnes idées et les outils communs
- Revoir les processus de traitement des données pour traiter des données non-structurées et les intégrer aux bases de données utilisées pour le reporting